La boite catalogue, les origines de la base de données
Je ne traîne pas dans les brocantes uniquement pour les consoles vintage, je feuillette aussi quelques livres anciens dont j'admire les belles gravures qui m'ouvrent sur un autre monde. J'ai récemment déniché cette petite encyclopédie de 1856 étrangement nommée le Magasin Pittoresque. J'y ai trouvé un article étonnant qui annonce l'origine des bases de données.
Nous savons combien les technologies actuelles s'appuient sur d'énormes bases de données. L'exploitation du big data amène souvent du positif pour notamment faire progresser l'intelligence artificielle, mais aussi des choses moins reluisantes comme l'exploitation abusive de nos données personnelles.
Mais comment faisait-on, pour classer les livres d'une bibliothèque, quand on n'avait pas d'ordinateurs ? réponse ci-dessous dans cet article paru en 1856 :
Un nouveau système de catalogue
À côté des inventions mémorables dont la série vient de s'accroître par l'Exposition universelle, n’est-il pas juste de consacrer quelques lignes à une modeste invention qui peut servir à les préserver de l'oubli, ou tout au moins à les ranger dans l'ordre chronologique qu’elles doivent garder entre elles ? La boite à catalogue, dont nous reproduisons ici l'ingénieux mécanisme, n’est pas destinée uniquement aux bibliothèques, elle peut se prêter à mettre un ordre systématique dans toutes les collections, et, bien que le catalogue lui-même s'applique plus spécialement aux livres et aux manuscrits, la disposition nouvelle dans laquelle il se présente peut rendre des services incontestables à toutes les branches des sciences, même aux nécessités de classement qui se font sentir dans l’industrie. Nous savons que son obligeant inventeur l’a communiqué à un grand nombre de personnes, et que déjà plusieurs bibliothèques de l'Amérique du Nord, nouvellement fondées, en font un commode auxiliaire de leurs autres répertoires. Comme toutes les inventions, quelque simples qu'elles soient, celle-ci a son histoire.
Tout catalogue de bibliothèque, personne ne l'ignore, est dressé au moyen de cartes séparées, sur lesquelles on inscrit les titres des ouvrages composant une collection, titres que l’on dispose d'ordinaire dans l’ordre alphabétique gardé entre eux par les noms d’auteurs, et qui sont copiés ensuite sur plusieurs registres, spécialement consacrés à former un répertoire usuel. La copie une fois terminée, ces innombrables cartes sont reléguées dans des casiers abandonnés à la poussière et fort rarement consultés. Mille incidents amenés par les mutations qui s'opèrent dans le sein même de la bibliothèque, une foule de petits accidents inattendus, qui se multiplient durant le transport partiel du matériel, amènent au bout de plusieurs années un déplorable désordre dans ce genre de catalogue. On peut aisément se figurer ce que ce peut être après que l’action de plusieurs siècles a multiplié ces causes de confusion.
C’était précisément l’embarras où se trouvait, en 1850, la bibliothèque de l'ancienne abbaye de Sainte-Geneviève, lorsqu'on la transporta dans le local qu’elle occupe aujourd'hui.
Elle possédait pour son service si actif un jeu de catalogue excellent, par noms d’auteurs ; Daunou l’avait enrichi de plusieurs catalogues partiels offrant un ordre de matières ; ses cartes, au nombre de 70 000, se trouvaient dans un état de pêle-mêle qu’explique la date de sa fondation, et l’on pouvait hésiter à rétablir dans un ordre nouveau ce que plus de deux siècles avaient déclassé. L’un des bibliothécaires les plus zélés de cet établissement, M. Pincon, ne recula pas devant cette tâche, et, secondé par l’administration, il eut l'heureuse idée de se servir des éléments que présentait cet amas confus de cartes, pour en former un catalogue méthodique ; il entreprit, en un mot, de compléter de cette façon, et sans nouveaux frais de copie, les divers répertoires de l’utile établissement où il rend de si bons services.
Pour cela, il fallait placer les cartes anciennes dans des conditions telles que, une fois rangées suivant l’ordre qu’elles doivent conserver, elles fussent mises hors de l’atteinte des mille causes de dérangement signalées plus haut; il s'agissait de les fixer et de faire en sorte que cette fixité n’empêchât pas de les feuilleter, si l’on peut se servir de cette expression; il fallait, en un mot, les mettre en de telles conditions que l’œil pût embrasser spontanément les divisions des classifications adoptées, et, de plus, qu’étant logées convenablement pour leur conservation, elles pussent être d'un transport immédiat et facile, d’un maniement de tous les instants. Ces divers problèmes furent résolus, et cela grâce à un procédé fort simple sans doute, mais dont nul n'avait eu l’idée avant l’ingénieux bibliothécaire. M. Pinçon fit percer les cartes à l’emporte-pièce, vers le bas, d'un trou circulaire et fort régulier; puis des tiges de fer traversant ces files de cartes permirent au doigt de faire jouer chaque bulletin sans aucun dérangement possible, les tringles cadenassées qui les maintiennent dans une caisse à compartiments obviant à tous les inconvénients que l'on peut craindre d'un transport précipité ou de chocs inattendus. Il est-presque inutile de dire ici que ce nouveau système de catalogue se prête, avec une facilité merveilleuse, à d'incessantes intercalations ; pour indiquer les divisions méthodiques, on emploie des cartes de diverses couleurs, dépassant légèrement les autres et présentant leurs titres sans confusion. Chaque boîte, à laquelle on a donné la forme d’un volume in-folio, peut contenir environ quatre mille cartes et suffire au service d'une bibliothèque de cinq mille volumes.