Souvenirs de démos
Aujourd'hui, je lance une démo de 1991 sur mon Amiga et je suis encore émerveillé devant tant de créativité...
Je voudrais partager l'éblouissement que j'éprouve, mais mon enthousiasme se heurte à l’indifférence de ceux qui n’ont pas vécu les premiers temps de la micro informatique.
Ceux qui n’ont jamais tapé une ligne de code dans un de ces interminables listings publiés dans Hebdogiciel peuvent-ils seulement comprendre ?
A l’image de l’art contemporain, les démos ont suscité autant la passion que l'indifférence, mais lorsque vous avez compris le « trip », il est très difficile d'expliquer au non initié pourquoi ce cube qui tourne sur lui-même provoque en vous une si grande émotion.
Dans cet article forcément subjectif, je vais tenter d'expliquer pourquoi ces petites créations numériques me bouleversent encore. Il ne s’agit pas d’une liste complète des meilleures démos mais simplement de quelques instants de mon vécu, en tant que passionné et témoin d’une époque fabuleuse : celle du lancement de la micro informatique.
Avant les démos
Parmi ceux qui aimaient les jeux vidéos, j’avais distingué dans mon enfance deux catégories de personnes : ceux qui avaient des consoles et ceux qui avaient des ordinateurs. Les ordinateurs permettaient de concevoir des programmes et s’adressaient plutôt à des créatifs - et je ne remercierai jamais assez mon père et mon frère pour m’avoir initié à ça - tandis que ceux qui avait emprunté le chemin de la Pong suivi de la NES ne comprenaient pas grand chose à la beauté d’une démo.
Au début de la micro informatique, les démos n’existaient pas sous la forme que l’on connaît. Le mot « démo » est le raccourci de « démonstration », et comme son nom l’indique, elle permet de montrer les capacités d’un ordinateur ou d’un logiciel en terme de graphisme, de son et d’animation. Il suffit donc de regarder une petite séquence animée et sonorisée, à la manière d’un court métrage, pour prouver les capacités de votre ordinateur. Quoi de plus agréable ?
En puisant dans mes lointains souvenirs, la première image numérique "démonstrative" fut celle de la mise en route d’un TI99/4A dans la cuisine familiale. C’était en 1981, le micro ordinateur Texas Instruments venait d’être branché sur la télévision. Mon père et mon frère s’étaient chargés de la connexion des câbles et de la pénible lecture des notices. Au premier allumage, le TI émit un « bip » de satisfaction et afficha deux belles frises colorées prouvant l’étendue de sa palette. Je me souviens encore de la surprise de ma mère qui avait trouvé ça très joli. Il faut comprendre qu’à l’époque, les télévisions analogiques n’affichaient que des émissions plus ou moins parasitées et que voir simplement une belle image précise, fixe et colorée pouvait faire son petit effet.
Je n’ai pas d’autres souvenirs de démos concernant le TI si ce n’est le mode autoplay de certains jeux qui proposaient en introduction une séquence où la machine jouait seule afin que l’on découvre un peu de quoi le jeu était capable. Je me souviens notamment de la cartouche Munch Man, un dérivé du célèbre Pac Man, qui, peu après le lancement, jouait tout seul. Et c’était assez intéressant d’observer si la partie avait été jouée par un humain dont les mouvements avaient été mémorisés, ou bien s’il s’agissait d’un programme proposant une vraie intelligence artificielle pour simuler un joueur.
La suite de mes souvenirs vidéo-ludiques fut, comme beaucoup, marquée par l’arrivée d’un Amstrad CPC 464 dans la famille. L’ordinateur était livré avec une cassette de démontrant les capacités du CPC. Je me souviens d’un défilé de lignes colorées et d’une portée musicale interprétée par l’Amstrad. Mais il faut le reconnaître, dans les années 80, l’Amstrad n’avait pas la culture démo telle qu’on la connaît. Celle culture là est arrivée plus tard avec l’Amiga 500.
Amiga, premiers contacts
Avant que je possède un Amiga 500, je me souviens d’une anecdote rapportée par mon père. Il avait vu, au travers d’une vitrine située au croisement de deux boulevards à Agen, un écran faisant la démonstration des capacités de l’Amiga en affichant la démo du Jongleur. Je n’avais pas vu cette vitrine de mes yeux, mais je me souviens de son émerveillement quand il me décrivait l’animation aux couleurs pétillantes devant les passants émerveillés. Juggler est l’une des premières démos emblématiques de l’Amiga. Il s’agit d’une animation en ray tracing, calculée image par image en 4096 couleurs grâce au mode HAM, ce qui était une sacrée prouesse en 1986. Cette démo fonctionnait sur le tout premier Amiga 1000 et démontrait les capacités remarquables de la machine, très en avance par rapport à n’importe quel Mac ou PC de l’époque. Mon frère s'était procuré cette démo plus tard car tout bon Amigaïste se devait de la posséder.
En 1989, j’eus la joie d’être livré par la boutique parisienne Amie Le Pro. Le merveilleux colis était un Amiga 500 venu remplacer le devenu poussif Amstrad CPC. Pendant les premières semaines, je découvris le Workbench et quelques jeux, mais je n'avais pas encore de réelles démos.
Spigot, démo sage sous Workbench
Ma première disquette de démos était une disquette non bootable que j’avais commandée dans un catalogue du domaine public. Cette disquette, intitulée Démo 03, devait être lancée après le Workbench 1.3 qui souffrait d'un chargement AmigaDOS d'une lenteur désagréable. Chaque démo se situait dans un répertoire à ouvrir contenant un exécutable accompagné de sa documentation textuelle. Comme sur Amstrad, l’une des démos animait des courbes de Bézier colorées dans différentes résolutions que l’on pouvait paramétrer. Rien de vraiment enthousiasmant. Cependant, je me souviens d’une magnifique animation nommée Spigot qui proposait une scène en images de synthèse représentant un coin de jardin où une bassine métallique recueillait l’eau d’un robinet qui fuyait et faisait onduler un logo Amiga flottant à la surface. Une jolie démo apaisante démontrant la puissance graphique du mode HAM. A cette époque, les images de synthèse étaient très longues à calculer. Selon l'auteur de Spigot, 18 heures de calculs sur un Amiga 2500 avaient été nécessaires pour réaliser l'animation.
Je me souviens à ce propos de mon frère qui s'était essayé au calcul d'image de synthèse. Il avait lancé pendant toute une nuit le calcul d’une Ferrari avec le logiciel POV Ray sur son Amiga 2000. Le rendu visuel avait été bien modeste pour toute une nuit de calcul...
Les dinosaures de Fantavision
Certaines applications faisaient des démos étonnantes en animation, dont le novateur Fantavision qui proposait en 1988 cette belle animation vectorisée dont le charme envoutant est resté dans ma mémoire.
Ces disquettes de démonstration n’étaient qu’une première étape dans l’histoire des démos. Les vraies démos légendaires n’étaient pas ces démos sages et scolaires lancées depuis le Workbench. Elles trouvèrent leur origine chez les hackers.
Les cracktros
Le mot cracktro associe le mot « crack », bout de code permettant de déverrouiller les sécurités anti-piratage d'un jeu, et « introduction » précédant le jeu déplombé. Le prix d’un jeu original oscillait entre 150 et 300 francs, et comme bien souvent chaque adolescent avait mis toutes ses dernières économies dans l’achat de l’ordinateur lui-même, il restait un budget bien réduit pour l’achat de jeux. Ce n’était pas une excuse, mais comme il était possible d’avoir des jeux pour le prix d'une disquette vierge sans risque de sanction, peu d'utilisateurs s’en privaient. Quand on est adolescent, on pense rarement à la condition des auteurs ou des éditeurs. Il est vrai qu'à cause du piratage, beaucoup d’éditeurs ont abandonné le marché Amiga. Paradoxalement, quelque chose de positif et de créatif s’est construit dans la copie illégale. Car c'est avec les cracktros que sont nés les meilleurs groupes de démos.
Dans mon lycée, le défi était de trouver des possesseurs d’Amiga pour échanger des jeux. Chacun avait sa liste que l’on comparait pour trouver les pièces manquantes. Quand les listes des copains étaient épuisées, on cherchait dans les petites annonces des magazines spécialisés pour se lancer dans l’échange de disquettes par correspondance. Nous achetions tout de même quelques jeux et utilitaires, surtout dans les catalogues du domaine public, plus abordables.
Les éditeurs, éprouvés par le piratage, incorporaient à leurs créations des protections de plus en plus élaborées. Ces protections devaient d’abord être déverrouillées par les hackers pour que chacun puisse copier facilement les disquettes avec le célèbre logiciel XCopy qui avait lui-même été piraté...
Par conséquent, les jeux déplombés étaient devenus aisément copiables grâce - ou à cause - d’un hacker expérimenté. Le hacker qui avaient passé de longues journées à déverrouiller un jeu avait envie de signer son « travail ». Je précise, avant que l’on m’accuse de rendre hommage à la piraterie, que concevoir un jeu nécessite bien plus de travail et de créativité que le déplombage d’un jeu. Soyons clair, les plus beaux créateurs restent ceux des jeux.
Les pirates ajoutèrent donc leur signature numérique en introduction du jeu. Au fil du temps, ces introductions gagnèrent en élégance, avec des effets d’animations, des messages de plus en plus longs et des remerciements aux autres hackers façon générique de cinéma. Le développeur avait alors besoin d’un graphiste pour son logo et aussi d’une belle police de caractère pour faire passer ses messages. Il avait aussi besoin d’un musicien pour agrémenter l’introduction. C’est ainsi que naquirent des noms de groupes formant ces petites équipes similaires à celles d’un groupe de rock avec le codeur, le graphiste et le musicien.
Certaines craktros sont devenues cultes, au point d’être plus percutantes que le jeu lui-même. En voici deux qui datent de 1989 que je n’ai pas oubliées :
Unit A : l’arroseur arrosé
Cette cracktro introduit le chef d’oeuvre F/A-18 Interceptor qui est selon moi le meilleur simulateur de vol conçu pour l’Amiga. Le jeu était protégé par un code que l’on devait saisir avant chaque mission.
Le hacker avait fait en sorte que le code soit tapé automatiquement par l’ordinateur puis le joueur n’avait plus qu’à confirmer. Le comble était que le jeu déplombé était plus vite lancé que le jeu original qui nous imposait avant chaque partie de tourner une roue en carton pour retrouver le bon code.
F/A-18 Interceptor impressionnait autant par sa 3D relativement fluide (pour un Amiga 500) que par son ambiance sonore, mais la cracktro qui l’introduisait l’était tout autant. Au point qu’il m’arrivait de lancer la disquette juste pour écouter et regarder la célèbre séquence de UNIT A, sans même jouer au jeu.
D’abord le son : une nappe grave envahissante nous plonge dans une atmosphère inquiétante. A l’écran, un cosmos bleu nuit d’où 3 silhouettes encapuchonnées et sans visage nous observent, évoquant une ligue obscure et secrète. Une pluie d’étoiles scintillantes se dirigent vers nous tandis qu’en bas de l’écran un texte rouge incandescent défile, imperturbable et régulier, pour émettre quelques informations en anglais. Les disquettes craquées étant dupliquées à l’international, l’anglais était de rigueur pour passer des messages.
Mon grand frère, plus calé que moi en anglais, m’avait traduit les premières phrases de la cracktro : d’autres hackers avaient volé au codeur d’UNIT A sa routine assembleur pour afficher les étoiles, octet par octet, et c’était un scandale... Unit A ou l’histoire du pirate piraté !
AckerLight : one, two, three, four !
La deuxième craktro qui marqua mon esprit était celle d’un groupe de hackers français nommé AckerLight. Elle introduisait une série de jeux dont le fameux Speedball des Bitmap Brothers.
Dans un tout autre style, cette cracktro flamboyante, portant fièrement les couleurs du drapeau français, était beaucoup plus joyeuse que celle d’Unit A. Elle impressionnait par la taille imposante du texte, défilant à une vitesse incroyable, orné d’une typographie métallisée qui détonne totalement avec le flat design minimaliste actuel. De nos jours, on parlerait de mauvais goût typographique, mais en 1989, on vénérait ces polices surchargées de matière, car l’Amiga démontrait sa capacité de gérer de grandes polices avec beaucoup de couleurs dans un défilement parfaitement fluide. De nos jours, les ordinateurs n’ayant plus rien à prouver, on se contente d’afficher des typographies lisibles.
Le module sonore, particulièrement entraînant, démarrait par un échantillon scandant ces quelques mots : one, two, three, four ! Entendre une vraie voix échantillonnée sur ces ordinateurs faisait toujours beaucoup d’effet.
Les cracktros ont assurément installé un style qui donnera naissance à des démos indépendantes beaucoup plus inventives occupant la totalité d’une disquette sans déplomber ni présenter le moindre jeu. La démo ne jouera désormais plus les premières parties. Elle deviendra le spectacle principal.
Les premières vraies démos
Les démos pouvaient s’échanger dans la cour du lycée mais la plupart étaient disponibles dans les catalogues du domaine public. Parmi les distributeurs célèbres, je cite : BAB Micro, Free Distribution Software et Phoenix DP.
Les démos étaient gratuites, mais la disquette, les frais de port et la marge du distributeur plaçait le prix d’une démo autour de 15 francs. Mon frère, toujours plus avisé que moi et grand lecteur d’Amiga News et de Commodore Revue, avait commandé la démo légendaire Dexion.
Dexion Megademo
En 1989, la Dexion Megademo était à l’image de toutes les démos de l’époque : une succession de scènes, similaire à une suite de craktros. Un simple clic sur le bouton gauche zappait la séquence. Il faut le dire, les démos de cette période souffraient d’inventivité. Le principe était de passer un message, en anglais, bien entendu, grâce à un texte défilant plus ou moins réussi. Malgré cela, la première séquence de la Dexion Megademo m’a définitivement charmé par sa mélodie sentimentale et entraînante, appuyée par un scrolling vertical fluide et majestueux. Je dois vous avouer que j’écoute et regarde encore la Dexion, en 2021, sur mon Amiga 1200. J'aime cette mélodie sucrée annonçant une batterie parfaitement synchronisée avec l’envolée du texte vertical.
Je ne me suis jamais lassé de cette émouvante envolée, osmose parfaite entre la musique et l'animation. L’émotion n’est pas provoquée uniquement par le graphisme ou la musique, elle est provoquée par la parfaite synchronisation des deux. Quand vous avez des connaissances en programmation, vous êtes d’autant plus ébloui par les techniques utilisées pour réaliser ces effets visuels. Pour arriver à de telles prouesses, il faut d'abord apprendre l’assembleur tout en ayant une bonne connaissance du hardware de l’Amiga. Nous étions donc subjugués autant par les performances de nos Amiga que par les prouesses des codeurs, des graphistes et des musiciens. Une autre prouesse amenée par les démomakers était celle des boot custom. Les démos utilisaient rarement le bootblock AmigaDOS et son système de fichiers trop lent, elles utilisaient un démarrage personnalisé avec un chargement des données beaucoup plus rapide grâce à des séquences crunchées (compressées) suivies des phases de décompression spectaculaires qui font joliment parasiter l’écran de lignes colorées.
1989-90 : Le temps des démos kitsch
Il y eut dans l’année 89, toutes sortes de démos kitsch avec des séquences de textes défilant sous des objets animés. C'était à celui qui empilait le plus d'objets animés à l'écran. Rien d’inoubliable, mais un vrai premier pas dans l’univers des démos.
1990 : La créativité des Budbrain
J’avais un copain un peu frimeur qui avait eu la gentillesse de m’inviter chez lui à Agen pour me copier quelques disquettes. Je me souviens qu’il jouait au basket et qu’il avait une copine qu’il embrassait de manière tellement démonstrative dans la cour du lycée qu’il avait reçu des plaintes des professeurs. Ne pratiquant à l'époque ni le sport, ni les petites copines - et ce n'était pas faute d'essayer -, ce frimeur amigaïste n’en finissait pas de me démontrer sa supériorité. Il avait donc lancé quelques démos sur son Amiga afin que je choisisse celles que je voulais copier. Notez au passage qu'il a existé une époque où l'on pouvait frimer avec un Amiga...
« Tu connais pas la Budbrain ? me dit-il. Je vais te copier la Budbrain. T’es obligé de l’aimer. Tu dois absolument avoir la Budbrain 1, la Budbrain 2 est nulle mais je vais te la copier quand même. »
Ce n'est pas parce qu'il frimait, qu'il avait tort. J'ai beaucoup aimé ces démos par la suite. Lui les a probablement oubliées et il est raisonnablement passé à autre chose.
Le groupe Danois Budbrain a apporté une vraie évolution sur la scène démos. Plutôt que de surenchérir sur les démonstrations techniques, le groupe préfère miser sur la mise en scène et l’ajout de dessins animés humoristiques.
La Budbrain 2 installe une vraie atmosphère avec notamment un générique mélancolique sur fond de musique zen. Techniquement, le groupe Budbrain n’a jamais cassé des briques, mais ici, c’est la créativité qu’il l’emporte.
1991-94 : Les meilleures années
A partir de 1991, les démos s’affirment, avec leurs codes et leurs traditions. Contrairement aux années précédentes, il ne s'agit plus de surcharger l'écran d'animations pour réussir ses effets. Une bonne recette ce n'est pas forcément de mélanger dans un plat tout ce que vous avez dans votre frigo, il s'agit de choisir les bons ingrédients et de combiner ceux qui s'accordent. Les demomakers s'intéressent désormais à la mise en scène. Et c'est bien la mise en scène qui fait la force de la démo Enigma de Phenomena. Elle installa définitivement le vrai style des démos qui ont marqué les esprits.
Que le spectacle commence !
Grâce à son boot nerveux, dès l’insertion de la disquette, le tempo est donné. Le lecteur de disquettes martèle à une cadence rapide et régulière qui détonne par rapport au rythme lent et trébuchant d’une disquette AmigaDOS. En 3 secondes, un personnage finement dessiné en noir et blanc apparait pour laisser place à tourbillon d’étoiles accompagnée d’une musique survoltée. Un générique cinématographique prometteur installe le début du spectacle. Finies les attentes de clic entre les séquences, c’est la démo qui donne son tempo grâce à un chargement savamment orchestré. Pendant que vous visionnez une séquence, les phases de décompression masquées préparent la suivante. La démo envoie un assortiment visuel varié proposant l'exploration d'une ville en 3D, des animations ray tracing pré-calculées, des dessins bitmap et des traditionnels textes défilants annonçant des records. On n’est jamais déçu par cette petite disquette qui offre tant de vivacité visuelle et sonore.
La Phenomena Enigma révolutionne la scène démo. Elle met un terme aux démos sages à séquences qui attendent le clic du spectacteur. L’enchainement des parties est désormais automatique et offre une mise en scène globale pour l’ensemble de la disquette.
Désormais, les créateurs de démos se rassemblent plusieurs jours dans des demoparty, marathons créatifs qui ont donné naissance aux meilleures démos. En 1991, la démo n’est plus anecdotique. Elle est devenue un art à part entière que seuls les initiés comprennent et vénèrent.
Fluidité parfaite et vitesse maximum
Tout comme Phenomena, les groupes Silents et Crionics savent ménager leurs effets. Les enchainements de la démo Hardwired sont parfaits et chaque séquence est valorisée.
En 1992, la démo Maximum Velocity du groupe Silents illustre avec brio la parfaite maitrise des animations fluides et des enchainements dignes des meilleurs génériques de films. Admirez cet extrait :
Rotoscopie sur Amiga
La célèbre démo State of The Art du groupe Spaceballs a été un des plus gros succès de la scène démo. Elle s'appuie sur des mouvements de danse filmés puis redessinés image par image. L'effet était tellement incroyable sur les ordinateurs de l'époque que la démo avait été diffusée à la télévision. Autre record : cette démo de plusieurs minutes d'animations intenses était stockée sur une misérable disquette de 800 ko.
A partir de 1993, les démos sont dans la force de l'âge et c'est dans cette période dynamique que l'on trouvera les plus belles créations.
L'épopée intergalactique Odyssey
Le groupe Alcatraz nous offre un moyen métrage intergalactique d'une durée de 30 minutes sur 4 disquettes. Le principe était d'animer des vaisseaux en 3D sur du dessin bitmap. L'effet était saisissant ! Voici un extrait de ce "Star Wars" sur Amiga 500 :
La cadence infernale de la Technological Death
Nos amis polonais ont toujours adoré l’Amiga. On le constate encore de nos jours au vu des nombreux sites de passionnés présents sur la toile proposant de nouvelles créations hardware. En 1992, je n’ai pas oublié l'incroyable démo du groupe Mad Elks nommée Technological Death.
La démo est un ballet continu de lignes géométriques projetées sur un rythme endiablé avec une synchro image / son calée au centième de seconde. Un compte à rebours affiché en permanence donne le rythme. Ça stroboscope, ça clignote au maximum pour le plus grand plaisir du spectateur.
Cette démo nous rappelle un point fort de la démo : la parfaite synchronisation de l'image et du son. Les modules sonores peuvent laisser des points de repère pour que les codeurs puissent synchroniser leurs effets visuels au centième de seconde. Cette synchronisation si parfaite se retrouve de nos jours dans certains clips musicaux avantagés par le montage numérique. Mais à l’époque, seule la démo offrait cette perfection sonore et visuelle.
Arte de Sanity, l'âge de la maturité
En 1993, une collaboration franco allemande fait des étincelles : Arte de Sanity. Des graphismes originaux boostés par les inoubliables musiques funky signées Moby. Arte élève la démo a un stade artistique indéniable avec un soupçon de maturité. La crise d'adolescence est terminée, place aux artistes et à l'inventivité.
AGA the blues
En 1994, de nombreuses démos AGA pour l'Amiga 1200 et le 4000 font leur apparition, mais paradoxalement, l'ajout de couleurs et de puissance processeur ne font pas forcément des meilleures démos. Il y a tout de même de belles réalisations comme la démo Nexus 7 du groupe Andromeda dont voici un extrait :
En 1995, la Crazy Sexy Cool du groupe Essence exploite joliment l'AGA, mais la démo reste bien sage.
Batman revient avec Denise
En 1995, le codeur espagnol Rhino de l'excellent Batman-Group prouve que Denise en a encore sous le pied. Il sait parfaitement exploiter les capacités de l'Amiga 500. Petit extrait de cette démo oldschool envoutante :
Petite réflexion : je me demande si la beauté des graphismes et du son ne réside pas dans la contrainte d'une configuration limitée. En ce qui concerne les démos, les modules sont plus inventifs et percutant que les WAV mixés sur PC et les graphismes plus chaleureux avec une palette restreinte. Et le manque de puissance processeur, force à l'inventivité et à la mise en scène. Un peu comme ces séries télé à petit budget qui poussent les scénaristes à écrire des histoires géniales avec des dialogues percutants.
La fin d'une époque
A partir de 1995, les utilisateurs se tournent vers le PC. La chute de Commodore balaye les espoirs des plus fervents utilisateurs. Et l'Amiga, au lieu d’innover, ne fait plus qu'imiter les démos de la scène PC, toujours en moins bien, faute de performance. Les configurations variées des PC anéantissent le challenge à pousser une machine avec une configuration fixe dans ses derniers retranchements. L'idée même de la démo perd toute sa valeur. Les démos continuent d'exister mais restent anecdotiques. Le grand public s'intéressent aux jeux PC qui sont désormais les meilleures représentations des capacités d'une machine.
Que reste-t-il de nos amours ?
Sur Amiga, on s'essaie à la démo 3D, vaine imitation de la scène PC, mais avec Denise ou Lisa épaulées par un 68020 ou même par un 68040, on ne peut rivaliser avec un processeur Intel et la moindre carte graphique. La fluidité n'est plus au rendez-vous. C'est dans ce contexte qu'on retrouve des démos saccadées et floues qui n'épatent plus personne.
Les modules inventifs et percutants ont laissé place à des WAV mixés sur PC interprétés par Paula en 14 bits avec le manque de pêche que l'on connait. Les dessins originaux dessinés pixel par pixel sur Deluxe Paint sont remplacés par des numérisations converties depuis un PC. Les meilleurs codeurs sont désormais salariés, installés dans une vie de famille qui laisse peu de place à la créativité. Ils n'ont plus le temps de s'adonner à l'exercice inutile, désintéressé et magnifique d'une démo. Beaucoup ont raisonnablement valorisé leurs talents numériques dans des entreprises d'informatique. On ne leur en voudra pas. "Il faut bien vivre !" disent-ils, englués dans l'ennui de la vie de famille. Mais le raisonnable est l'ennemi de la passion, et les vibrations des démos party sont lointaines. A quoi bon vivre quand plus rien ne vous enivre ? Je m'égare...
Dans les années 2000, l'Amiga n'est plus que l'ombre de lui même, les codeurs talentueux, les graphistes de génie, les compositeurs funky ont déserté la place. Quand vous dites avoir gardé votre Amiga, on vous regarde de haut et on vous suggère de passer à autre chose. L'ordinateur est devenu un outil commercial et fabriquer des démos ne rapporte rien. C'est influencé par ce contexte que j'ai vendu mon Amiga, en l'an de grâce 2000, et que je me suis acheté un PC. J'avais pourtant essayé de tenir jusqu'au bout, avec une splendide tour Ateo Concept, une carte Blizzard 68060, une carte graphique Pixel 64 et même une carte ethernet. Et puis, j'ai vendu l'ensemble pour financer l'achat d'un PC sans saveur, mais tellement fonctionnel.
J'ai donc quitté l'Amiga pendant une décennie, le cœur brisé à essayé d'aimer Windows qui s'avère être une vraie obscénité commerciale. Heureusement, la nullité de Windows 8 m'a permis de passer à Linux.
Je vais rendre hommage à ceux qui sont restés sur Amiga contre vents et marée. Ils étaient combien en France dans les années 2000 ? 1000 ? contre 200 000 à une autre époque.
Le standard 68060 + AGA
De nos jours, quelques démos oldschool OCS pour Amiga 500 sont encore développées. Mais un autre standard s'est imposé dans les années 2000 afin de rivaliser un peu avec les PC. A la Revision, un des derniers rassemblement democratique à succès, les Amiga 1200 AGA only équipés de 68060 sont devenus un certain standard pour de nombreuses démos récentes. Ceux qui ont la chance d'avoir une config gonflée pourront profiter de démos bien fluides. Voici deux exemples de démos qui font leur petit effet sur Amiga.
Skarla - Ride
En 1999, le groupe Skarla nous offre une démo 3D mappée parfaitement fluide, à tel point qu'on se demande comment un Amiga, même gonflé, peut produire autant de FPS.
The Black Lotus - RIFT
En 2014, la situation semble désespérée, pourtant, le groupe TBL (The Black Lotus) connu pour ses productions époustouflantes dans les années 2000 revient sur le devant de la scène avec l'excellente démo RIFT. Le groupe confesse que se remettre au travail a été particulièrement difficile après une période d'absence de la scène. Mais le résultat est là : cette démo est éblouissante. Je précise que la fluidité est parfaite sur mon Amiga 1200 et que si vous voyez des saccades, elles sont causées par ma carte d'acquisition bon marché.
Les démos sont démodées
Aujourd'hui, mon Amiga n'est plus que le vestige d'une splendeur passée, les démos sont logiquement passées de mode car les PC à configurations variables annihilent tout l'intérêt d'une démo qui consiste à pousser une bécane dans ses derniers retranchements. Il reste encore quelques rassemblements comme la Revision où chaque année quelques boomers se retrouvent pour vibrer encore un peu. Mais soyons honnêtes, en plein âge d'or, les démos étaient déjà un poil confidentielles au regard du grand public qui préférait nettement jouer à Mario ou Sonic. Les micro ordinateurs étaient déjà moins populaires que les consoles. Et les démos sur micro ordinateurs étaient moins populaires que les jeux. Les démos s'adressaient déjà, en leur temps, à des initiés. Certains diront qu'il y a encore plein de productions récentes sur pouet.net. Mais si vous dites ça, c'est que vous avez des œillères et que vous êtes enfermés dans votre bulle rétro. Si vous voulez prendre le pouls de la création numérique, allez donc faire un tour sur Twitch et regardez ce qui fait vibrer la jeunesse. Ils ignorent même le mot démo. Si t'as moins de 40 piges, tu ne peux pas savoir de quoi il s'agit. Les adeptes des démos sont des quadras et des quinquas, et cet art fulgurant et magnifique s'est quasiment éteint.
Les œuvres magnifiques sont là, mais vous ne les voyez plus
Ne soyez pas trop tristes, je pense sincèrement que le monde numérique nous offre toujours des choses magiques et merveilleuses, notamment dans le monde des jeux vidéo. Si vous pensez que les jeux étaient mieux avant, c'est juste qu'avant, vous étiez ouvert et réceptif parce que, quand on est jeune, on est naturellement réceptif et sensible. Un adolescent n'est pas dans la réaction, à toujours comparer ce qu'il a déjà vécu à un événement nouveau. Il est dans l’acceptation de ce qu'il vit et souvent dans l'émerveillement. Tachons de retrouver cette innocence qui nous faisait vibrer et nous enthousiasmer. Mettons-nous à la recherche des nouvelles créations. Si on regarde attentivement quelque chose, on finit toujours par s'y intéresser. Par exemple, avez-vous jeté un œil sur itch.io ? Si l'esprit magique de la démo a survécu, il est par là, dans cette folie créative indépendante.
A présent, je vais être indulgent avec les nostalgiques, car j'en suis un. Si vous êtes nostalgique, c'est que vous avez la chance d’avoir aimé passionnément quelque chose. Beaucoup de gens n'aiment rien dans la vie, ils dépriment et font des puzzles voire du Sudoku pour "passer le temps". Alors continuons d'aimer les démos même si elles sont démodées. Et je me dis qu'en 2021, les gens qui font encore des démos sont peut être les plus hype du monde et que les 3 personnes qui les regardent ont bien de la chance d'avoir connu cette époque formidable où l'on fabriquait ces choses inutiles et pas commerciales, juste pour la beauté du style.
Ne soyez pas obtus, Don't be square!, tel est le titre ce cette mini démo oldschool de 4 Kilo-octet pour Amiga 500 que je vous propose de regarder. Elle est arrivée en 2ème place de sa catégorie à la Revision 2019.
Salut,
Site globalement très intéressant. Merci.
Juste ce petit commentaire à partir de cet extrait :
"Certains diront qu'il y a encore plein de productions récentes sur pouet.net. Mais si vous dites ça, c'est que vous avez des œillères et que vous êtes enfermés dans votre bulle rétro..."
Je crois qu'on peut dire qu'il y a des trucs sympas présentés régulièrement sur pouet.net ET s'intéresser également à d'autres choses plus modernes on va dire (même quand on a plus de 40 ans) 🙂
D'accord sur le fait bien sûr qu'il n'y a jamais eu autant de créations numériques qu'aujourd'hui et que le monde des démos est un monde confidentiel qui d'ailleurs l'a toujours été.
Au passage, quelques délires quand je suis coincé dans ma bulle rétro 🙂 :
https://www.pouet.net/groups.php?which=14768
A la prochaine
Aghnar
Lecture très intéressante, le tout écrit avec une bonne plume et des vidéos parfaitement adaptées, merci.